Qu’est-ce que le fleuret ? (3)

Date 23-03-2020 11:10:00 | Sujet : Divers

Vous l’aurez compris, quand on parle de fleuret, on peut y voir un simulateur, mais derrière ce simulateur, il y a une arme. Et on utilise le simulateur pour apprendre à faire de l’arme.

Cependant, il ne vous aura pas échappé que le fleuret est fort vieux et que manifestement, l’objet a connu des formes très variées entre la fin du 16e siècle et aujourd’hui.


C’est donc que lorsqu’on parle de fleuret, on a tendance à confondre deux choses, le mot a deux significations :

- Le fleuret : OBJET,

- Le fleuret : TECHNIQUE

 

Le fleuret, OBJET, c’est est un simulateur, donc, il a d'une certaine manière une nature sportive, et il a évolué dans le temps en changeant de forme matérielle.

Le fleuret, en tant que TECHNIQUE, c’était une préparation à tuer, fondée sur l’efficacité ; c’est la quintessence d’un art martial. Cette technique a parfois dérivé en s’éloignant du réalisme du combat : cela a été le cas au 19e siècle et cela a provoqué la naissance de l’épée en réaction, et à la fin du 20e siècle avec les violations massives du règlement international par des arbitres.

 

Le fleuret, pour réellement le comprendre, il ne faut donc pas s’attacher à son aspect strictement matériel (sauf à bien retenir que c’est une arme d’estoc), mais le voir comme étant défini comme étant une technique martiale parfaitement efficace et opérationnelle : un art de tuer, si vous préférez : mais qu’on n’utilise plus en tant que tel, tant il est désuet au regard des évolutions techniques.

 

Cette technique est fondée sur des principes fondamentaux que l’on nomme la convention du fleuret. Et cette convention, elle est profondément martiale.

À ce stade, il ne faut pas confondre le règlement applicable au fleuret en compétition et la convention du fleuret. Le règlement n’est que la traduction (plus ou moins imparfaite) de la convention du fleuret.

 

La convention du fleuret est un ensemble de prescriptions à suivre pour être efficace. Je ne vais pas écrire un traité d’escrime (même si l’envie ne m’en manque pas), mais simplement décrire les éléments fondamentaux de l’escrime au fleuret.

 

D’abord, le fleuret (technique) est de l’escrime. Et Il faut s’arrêter sur le mot escrime en allant faire un tour du côté de son étymologie : le francique skĭrmjan qui signifie se défendre, se protéger.

TOUT est dit : un art martial, ce n’est pas vraiment fait pour tuer, c’est fait d’abord pour survivre. Le but, ce n’est pas de tuer l’autre, c’est de sauver sa peau… même si parfois, sauver sa peau, cela passe par tuer l’autre…

En fait, cette évidence (d’abord la survie) a des conséquences absolument gigantesques sur la compréhension du fleuret : cette évidence, on l’a oublié, et donc on mésinterprète le fleuret en conséquence.

D’ailleurs par exemple, un exemple patent de la mésinterprétation du fleuret, c’est de compter dans les matchs les touches données. On dira un tireur A a gagné par 15 touches données sur le tireur B qui a donné 10 touches. Non, on devrait dire le contraire : le tireur A a gagné pour n’avoir que 10 touches reçues, alors que B en a reçu 15. La technique de A est meilleure, car il est capable de moins se faire toucher que B : elle est là la vraie logique du fleuret.

 

Ainsi, la fameuse phrase de définition de l’escrime par le maître d’armes du bourgeois gentilhomme de Molière, sentence tenue pour ridicule car trop évidente, est en fait une phrase malgré toute son évidence qui est fausse.

Acte 2, scène 2 : Tout le secret des armes ne consiste qu'en deux choses, à donner, et à ne point recevoir

La réalité, c’est que c’est exactement le contraire.

Tout le secret des armes ne consiste qu'en deux choses, à ne point recevoir et à donner

Ne pas être touché, en touchant, si possible. Choisir sa survie avant que d’obtenir l’atteinte de son adversaire.

Ne point recevoir, c’est d’abord grâce à la parade (mais il y a aussi la maîtrise de la distance de sauvegarde ainsi que l’esquive).

 

L’escrime est un art de la défense, et donc sa convention doit répondre à cette priorité : ne pas être touché.

TOUT LE PARADOXE de la perception du fleuret (et de son enseignement, bien souvent) est d’ailleurs là. Quand on parle de la convention du fleuret, on prétend d’abord qu’elle donne la priorité à l’attaque. NON ! NON ! Et NON !

 

Au fleuret, la priorité est toujours, toujours, et encore toujours… à la parade. Le coup principal au fleuret, art de la défense, c’est la parade, destinée à garantir la survie.

 

Alors, certains vont se croire malins en me faisant remarquer : « mais pourtant, la priorité est bien donnée à l’attaque ». Oui… enfin non : si on donne la priorité à l’attaque, c’est justement pour forcer à la parade : c’est un peu tordu, mais pourtant, c’est bien ça. La convention du fleuret ne donne la priorité à l’attaque que pour forcer à la parade : PRIORITÉ A LA PARADE. La convention du fleuret est une prescription : faites une parade pour vous sauver, ensuite, vous verrez bien…

 

Et de là vient la grande préoccupation des penseurs de la théorie du fleuret : Éviter à tout prix l’affreux coup double !!!!!! Et c’est pour cela qu’a été développée la théorie des temps.

Le temps d’escrime, c’est le temps que prend une action simple, nous dit-on. Si cette notion de temps est bien présente dans le règlement actuel, en fait, elle est mécomprise, méprisée, alors qu’elle a structuré les théories historiques de l’escrime. Au 14e siècle, les Allemands parlaient du Vor et du Nach : de l’avant et de l’après, en référence à Aristote. Les Italiens au 16e siècle centre leur discours sur le temps d’escrime : perdre le temps, gagner le temps, à contretemps, à temps perdu… Pleins d’expressions devenues peu employées.

En fait, le temps d’escrime, c’est un principe d’initiative et de priorité. En tout cas, ce n’est pas du tout une notion de vitesse, ce n’est pas le premier qui touche.

L’idée, c’est de dire que celui qui débute une action acquiert une priorité, et que celui d’en face va avant que de réaliser sa propre action, va devoir réagir à l’action adverse.

Pour résumer, la théorie du fleuret revient à considérer qu’il s’agit d’un jeu au tour par tour (https://fr.wikipedia.org/wiki/Tour_par_tour).

Le temps de l’escrime, c’est le tour.

 

Vous trouvez cela artificiel ? En aucun cas, si on considère que le fondement de l’escrime, c’est la survie. Si on se fonde sur l’action unilatérale, sur la vitesse, le niveau de danger est extrême : la survie, c’est la prudence, donc, l’escrime c’est du tour à par tour : on peut en sortir et tenter le diable, mais c’est risqué (on n’est pas dans un art martial à mains nues, là, les coups sont fatals en escrime, rapidement définitifs) sauf à ce que le niveau de l’adversaire soit très inférieur.

 

En conclusion, des tireurs qui tirent parfaitement dans la logique de la convention du fleuret tirent de manière absolument martiale : ce qu’ils font sur la piste serait transposable dans le cadre d’un duel.

 

Et l’épée ? Eh bien, il n’y a pas vraiment de théorie de l’épée. Du moins, l’épée n’est qu’une simplification outrageuse du fleuret. À l’épée, on s’arrête au premier sang, ce n’est pas le combat à outrance du fleuret (épée de cour). Donc, l’épée ajoute une convention simplificatrice : on s’arrête dès qu’on est légèrement touché. C’est une vision, un choix, mais il est très réducteur.

La seule théorie valide en matière d’escrime (d’estoc), c’est celle du fleuret, résultat du siècle de travail de maître d’armes et de tireur. La théorie de l’épée n’est qu’un dérivé… ou la notion de temps (mâtiné de vitesse…) a heureusement bien plus d’actualité – ce qui fait qu’un match d’épée finit par apparaître bien plus logique que le pseudo-fleuret pratiqué aujourd’hui et qui consiste à prendre 10cm de fer dans le bide pour réagir après.

 

À quoi sert un tel article ?

À convaincre ? Je ne pense pas que grand monde sera arrivé au bout de cet article que je trouve de toute manière imparfait, car il faudrait qu’il soit beaucoup plus long, beaucoup plus sourcé… J’ai des contraintes de temps et surtout de connaissance de l’histoire de l’escrime (mais moins que beaucoup d’autres), je le reconnais.

À court terme, la dérive actuelle du fleuret qui dure depuis des années est concomitante à une forte phase d’internationalisation de l’escrime. Les nouvelles nations, leurs arbitres ont une compréhension extrêmement faible du fleuret, technique. Il applique une recette qui viole le règlement, sans comprendre, sans chercher les raisons ou l’intérêt de la chose. Avec une FIE internationalisée composée de nations qui n’y comprennent rien, qui ne sont là que pour des opportunités de médailles au JO (type USA ou autres), ou d’autres qui se sont adaptées cyniquement (type Italie), l’espoir d’une évolution est faible à court terme. Il faut voir plus loin sans pour autant les laisser s’installer dans le confort d’une situation acquise, mais aberrante et dangereuse.

 

Moi, je joue le coup d’après. L’escrime va évoluer parce que la technologie évolue. La prochaine étape, c’est la dés-électrification des armes (électrification totalement inutile et embêtante) pour remplacer ça par un smartphone placé sur le coin de la piste et qui grâce à l’Intelligence artificielle (IA) va réaliser l’analyse de la situation, l’arbitrage.

Le coup d’après, celui réellement important et qui intervient avant la fin du siècle, c’est la programmation de l’IA : qu’elle se fasse avec des objectifs martiaux. Le but, c’est de ne pas être touché et de toucher éventuellement. Si ce principe est respecté, on fera de l’escrime, sinon, on fera un jeu sans aucun sens, du n’importe quoi qui disparaîtra faute d’intérêt, de sens.

C’est pour cela qu’il nous faut défendre les racines martiales de l’escrime…

 

Et vous verrez que la vieille vieille convention du fleuret, sa théorie des temps, polie par des siècles de pratiques de tireur, elle sera validée a posteriori par l’IA : c’est ça qu’il faudra enseigner pour vaincre !

Le combat ne continue pas… car il ne fait que débuter.





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