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Histoire - La première compétition connue.

Posté par Sixte sur 24-01-2005 22:03:50 (4543 lectures) Articles du même auteur

Un championnat d’escrime en Egypte devant le Pharaon Ramsès III
Par Gérard Six




Pour beaucoup d’entre nous, les prémisses de l’escrime sont assez vagues et nous aurions tendance à les situer proches des peuples helléniques. Platon (428-348 avant J.C.) louait en effet la pratique des danses armées comme moyen d’éducation et parmi cette orchestrique il recommandait notamment la pyrrhique : « Elle permettait d’inspirer les passions les plus louables. Son but était de feindre par des gestes mesurés en les poétisant toutefois et en les exaltant, les actions des hommes. Rien ne semblait plus capable d’éveiller des sentiments de piété, de courage, de générosité, d’enthousiasme et d’autres vertus semblables » . But guerrier certes, mais aussi but moral en cette « danse Pyrrhique (qui) doit être enseignée à la jeunesse par des professeurs gagés et contrôlés par l’Etat. Elle doit servir à exalter les valeurs et la grandeur d’âme des hommes et la grâce chez les femmes. » Platon s’intéressait aux combats armés qu’il voulait réglementer, il faut « codifier les règles du combat, des coups et des parades afin de déterminer vainqueurs et perdants ».
Le disciple de Socrate ne fut pourtant pas le premier à vouloir réglementer les assauts et, sans doute, copia t-il volontairement les égyptiens qu’il connaissait bien. Précepteur d’Alexandre le Grand, Platon voyagea en Egypte et sans doute visita-t-il le temple de Médinet Habou dédié à Ramsès III, dans la vallée des Rois. Certains bas-reliefs n’ont pu que retenir son attention éclairée car ils parlent d’escrime et décrivent précisément une compétition.


Huit siècles avant Platon, 3200 ans avant notre époque (en 1198 ou 1180 avant J. C.) une compétition d’escrime s’est effectivement déroulée en Egypte et les parois sculptées d’un temple de Médinet Habou en portent toujours le souvenir.

C’était au lendemain d’une sortie dans le désert de Libye qui menaçait alors l’Egypte. À la tête de son armée, le pharaon Ramsès III avait remporté une victoire décisive et, revenu dans sa capitale, il ordonna qu’une grande fête marquât la délivrance de son royaume.
Tous les pays alliés d’Afrique et d’Asie furent invités et bientôt affluèrent à Thèbes, les ambassadeurs princiers suivis des champions de tout l’Orient : ils venaient rencontrer en des jeux pacifiques, les meilleurs « sportifs » du pharaon. Ce sont eux que l’on voit lutter ou s’escrimer devant les dignitaires et face à un nombreux public.
Le temple de Médinet Habou n’est pas le seul à nous montrer des scènes de combat, d’autres documents (peintures tombales, fragments de poteries, ostracons, éclats de calcaire peints…) nous sont parvenus. Ainsi, on peut se faire aujourd’hui, une idée assez précise de ce que fut en 1198 avant J.C., la première grande compétition internationale d’escrime, bien avant les premières olympiades qui n’eurent lieu qu’en 776 avant J. C.

La traduction des hiéroglyphes qui accompagnent les personnages sculptés montrent que les règles étaient précises et que chaque épreuve était contrôlée par un jury. D’un coup de trompe, le directeur du combat arrêtait le match en cours ou donnait le signal de la reprise. Il rappelait à l’ordre les pugilistes qui s’écartaient des règlements imposés. Sur l’une des représentations des scènes de lutte, on voit blâmer par un juge l’un des combattants qui avait effectué une prise défendue. Le texte hiéroglyphique ne laisse d’ailleurs aucun doute sur le sens de ses propos : « n’as-tu pas honte, toi qui combat ainsi devant le pharaon ? ».

Les scènes d’escrime confirment une scrupuleuse et surprenante organisation des rencontres. Les combattants utilisent des armes en forme de bâtons minces ferrés à leurs extrémités (certainement des bâtons à plaques que l’on peut admirer au Louvre). Un renflement de la pointe, bien visible sur toutes les armes, constitue peut-être une mouche semblable à celle qui garnit nos fleurets. Une garde (semblable à celle de notre sabre moderne) protège la main de l’escrimeur, un masque (certains diront un casque) couvre le front, le crâne et la nuque ; il se prolonge par une mentonnière rembourrée qui protège le bas du visage, les joues et les oreilles et rattachée à la perruque. Les pagnes triangulaires prouvent que les combattants sont des soldats.
À en juger par ces précautions, l’escrime de l’époque ne comportait pas seulement les deux formes de pratique que nous connaissions jusqu’à présent : la forme dansée (comme dans la pyrrhique) simulant un combat, composée de mouvements rythmiques harmonieux, et la forme utile des duels guerriers.
Dire que les combats reproduits sur notre bas-relief ressemblaient à nos assauts actuels serait extrapoler au delà des connaissances scientifiques de l’égyptologie (voire de l’etnomotricité). Pourtant certaines similitudes sont observables : les combattants se font face et maintiennent leur équilibre en garde par un port de bras semblable à celui de nos escrimeurs actuels. Le renflement de l’extrémité de l’arme pourrait inciter à parler d’une technique de pointe.
D’autres indications suggèrent plutôt un combat au sabre ou à la canne : armé des coups, tenue de l’arme en garde. La protection latérale de la tête et surtout un bouclier étroit en bois ou en cuir qui couvre la main non armée et l’avant-bras, nous font penser à des parades de coups de tranchant


Pourtant, le sabre n’était pas connu dans l’ancienne Egypte et cette arme n’apparut en Orient qu’à une époque plus récente. Il semblerait donc que l’escrime des bas-reliefs de Médinet Habou soit un compromis entre les techniques de canne et celles de l’épée. Dans un éclat de calcaire trouvé à Déir El Medineh, on voit des duellistes utilisant d’une main une sorte d’épée munie d’une garde, de l’autre une arme plus courte avec laquelle il essaie d’arrêter les coups de l’adversaire. La peinture indique que les extrémités des armes sont différentes ; près de la poignée, les armes sont garnis d’une petite branche formant cran d’arrêt. Plusieurs bâtons de ce genre sont conservés aux Musée de Berlin, du Louvre, et dans le mobilier de Toutankhamon au Musée du Caire. Ces cannes sont garnies de fer à leurs extrémités et leur bois semble être du genévrier. Une reproduction exacte de ces armes ou la possibilité de les manipuler nous serait certainement fort utile pour expérimenter in situ et rechercher, tel l’ethnologue, les gestes ancestraux utilisés.




Si la technique du combat reste encore assez obscure, le rituel de l’épreuve nous est par contre, clairement révélé par les inscriptions. Le jury désignait le vainqueur et le Pharaon, entouré de sa cour, décernait récompense et titre de champion. Il prononçait alors cette formule conservée dans la pierre : « avance-toi, avance-toi, le meilleur des combattants ! ». La foule acclamait alors le vainqueur tandis que celui-ci s’inclinait devant le jury pour le remercier et se redressait ensuite pour faire au Pharaon, une sorte de grand salut des armes.
Notons enfin que la victoire de l’équipe égyptienne est soulignée dans un texte mis dans la bouche des spectateurs parlant à leur Pharaon : « les champions égyptiens ont vaincu leurs rivaux étrangers comme Amon t’a permis de vaincre leurs armées ».


Quelques précisions concernant ces scènes d’escrime :

Monsieur Philippe de Flers, président de l’Automobile Club de France et grand connaisseur des antiquités égyptiennes a bien voulu participer à nos recherches. Il a consulté pour nous le Ministère de l'Éducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie, l’Institut français d’archéologie orientale du Caire, en la personne de Nicolas Grimal, qui nous a donné les précisions ci-jointes : « il s’agit de scènes qui ornent le soubassement de la fenêtre d’apparitions de la première cour. Les personnages qui y sont figurés se battent avec des bâtons et non avec des fleurets. Les principales références sur Médinet Habou se trouvent dans The University of Chicago Oriental Institute Publication. Medinet Habu I-VIII. 1930-1969»

Christian Jacq qui a écrit de nombreux romans sur l’Egypte ancienne, a bien voulu répondre à nos questions : « II n'existe pas d'ouvrage, à ma connaissance, sur l'escrime en Égypte. Il est certain, en revanche, que ce type de compétition (ou de jeu) fut pratiqué sous la forme de combat avec des bâtons qui pouvaient être des substituts d'une épée employée à la guerre. Vous trouverez des renseignements dans le livre de W. Decker, Sports and games of Ancient Egypt, Yale University Press (New Haven and London,1987,page 82 sq.).
Pour une scène d'escrime, cf. J. Leclant, Syria XXXVII,page 42,note 5.
Les scènes du temple de Medinet Habou (Haute-Egypte) qui traitent des combats menées par Ramses III contre les Libyens et les peuples de la mer fournissent effectivement une documentation importante. Ce temple est publié par l'Oriental Institute de Chicago. »


Wolfgang Decker, coauteur du livre « Bildatlas zum Sport im Alten Ägypten (Handbuch der Orientalistik 1 14, 1-2) Leiden/New York/Köln : E.J. Brill 1994. » nous a aimablement précisé que ce livre est consultable à la bibliothèque de l’Institut d’Egyptologie au Collège de France, 11, place Marcelin Berthelot, 75005 Paris et à l’École pratique des Hautes Études, 45-47 rue des Écoles 75005 – Paris –
A consulter plus précisément, les pages 564 à 571 et les illustrations s’y afférant.

Sources privées : notes de G. Dardaud, Caire 20.04.1949.
« L’escrime » de Roger Duchaussoy de 1961 et 1962.
Archives personnelles et recherches de G. Six


1 L’orchestrique, du mot « orchestrai », qui veut dire « sauter », embrassait toutes les danses sacrées, militaires et théâtrales qui tenaient une place importante dans la vie des Hellènes.
2 La Pyrrhique, inventée dit-on par Pyrrhus, fils d’Achille et qui tire certainement son origine des sacrifices humains des Grecs et des Etrusques qui immolaient esclaves et captifs sur les tombes des héros. Cette coutume fut progressivement remplacée par des danses guerrières dont la Pyrrhique. Son importance était sociale et d’une qualité physique de tout premier ordre : « pas un muscle, pas une articulation qui n’entrât en jeu dans cette suite de déplacements rapides, de gestes et d’attitudes infiniment variées exigeant pour rester gracieux et expressif, de la souplesse, légèreté, sens de l’équilibre, énergie et résistance à la fatigue ». Platon, Lois, VII, 815
3 Idem
4 Idem
5 Idem
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Auteur Discussion
Contredetierce
Publié: 26-01-2005 13:08  
Habitué
Joint: 01-04-2003
De:
Commentaires: 115
 Re: Histoire - La première compétition connue.
Quelle érudition !
C’est toujours avec beaucoup de plaisir que nous lisons vos posts.
Merci de nous faire partager votre passion.

« Un pour tous, tous pour Six ! »

Amitié de Tel Aviv,
Contredetierce, mais proche de Six !
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