"La musique élève l'âme, l'escrime la trempe"

Date 09-03-2005 20:39:51 | Sujet : Divers

Le Chevalier de Saint-George(s)
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« La nature le fit et brisa le moule », a dit Grisier de cet escrimeur mulâtre aux qualités exceptionnelles, aussi doué en musique qu’au maniement des armes, dont la devise était : « la musique élève l’âme, l’escrime la trempe. »
Le chevalier de Saint George était un violoniste, un compositeur et un escrimeur célèbre. On pouvait dire de lui qu’il avait plusieurs cordes à son archet. Ses combats se passaient sans anicroche, sans fausse note.
Connaissant le sens de la mesure, il mettait tous ses adversaires à sa portée ; le silence contemplatif qui régnait lors de ses assauts publics n’était ponctué que par quelques soupirs admiratifs au vu des coups portés : contre-temps et points d’arrêt, dans les intervalles de tierce et quarte, qui pianissimo puis crescendo marquaient, telle une gamme, le plastron adverse.
Voici ce qu’écrit La Boëssière, sur Saint Georges, pensionnaire de l’institution pendant six ans, dès 1752 : « Le matin était consacré à son éducation, l’après-midi était employé à la salle d’armes. À quinze ans, il battait les plus forts tireurs ; avec le temps, il acquit des connaissances qui le rendirent inimitable. Il ne suffisait pas de le voir tirer pour juger son talent ; il fallait être capable de tirer avec lui, et alors on reconnaissait sa supériorité. Supériorité qu’il garda jusqu’à l’âge de quarante ans. Alors il se cassa le tendon d’Achille en dansant, et une raideur du jarret gauche influa sur son art, mais il conserva son talent. »
À noter que, malgré l’absence des masques à cette époque, il n’a jamais blessé personne, tant il avait la main légère.

Le pupille de La Boëssière n’était pas seulement un extraordinaire escrimeur ; Dugast, maître du manège des Tuileries, voit en lui l’un de ses meilleurs élèves. La Boëssière le donne aussi comme un excellent nageur. « Son agilité piquait la curiosité des spectateurs », écrit-il. En effet, il traversait la Seine en ne s’aidant que d’un seul bras. Même en patinant, il attirait les regards de la foule. Un noir sur la glace, quelle grande « première » vers 1765, vous imaginez. C’est en pensant à Saint George qu’il écrivit un jour en 1818 « Les tableaux survivent aux peintres, les marbres aux statuaires, l’œuvre de musique et de poésie au musicien et au poète ; il n’en est pas ainsi des exercices du corps : la danse, les armes, l’équitation ne laissent point de traces de l’exécution parfaite de ceux qui s’y sont distingués ».

La Boëssière ne souffle mot de son éducation musicale. C’est donc par la Biographie Universelle des Musiciens de Fetis que nous sommes renseignés sur ce point. Il étudia le violon avec Leclair, et si, toujours d’après Fetis, l’art de la musique le touchait particulièrement, son talent moelleux sur le violon lui faisait souvent donner la préférence sur les plus habiles artistes de son temps.
Si la chevalière d’Éon fut l’adversaire le plus connu de Saint Georges, Angelo nous cite un combat du 8 septembre 1766 qui l’opposa à l’italien Faldoni, contre lequel il n’eut pas l’avantage du nombre de touches mais celui de la qualité.

L’un des plus grands spécialistes sur Saint Georges est sans conteste Daniel Marciano, éminent Professeur mais également escrimeur, spécialiste de l’escrime sur scène et dans le théâtre anglais. Auteur d’un scénario et d’une pièce de théâtre sur Saint George, il vient de sortir un roman intitulé « le chevalier de Saint Georges. Le fils de Noémie » chez Thespis. Je lui laisse la parole pour présenter son livre remarquable de vérité et d’intérêt.

Renaissance de Joseph Bologne,
Chevalier de Saint-George/s (1745-1799)

L'année 2003 a été proclamée "Année Saint-Georges", par le Conseil Régional de La Guadeloupe, île où Joseph Bologne ou Boulogne, connu aussi sous le nom de chevalier de Saint-Georges, ou Saint-George/s tout court, musicien, compositeur, et escrimeur talentueux, a vu le jour.
L'œuvre musicale de Saint-Georges qui était presque tombée dans l'oubli connaît actuellement un regain d'intérêt grâce à de nombreux musiciens et chefs d'orchestre qui, depuis quelques années, choisissent ses compositions pour leurs programmes. De nombreux CD's ont été produits. Des biographies ont été écrites sur lui en France et aux Etats-Unis. D'autres ouvrages sont en préparation et plusieurs projets de films sont actuellement en cours.
En février dernier, la Ville de Paris a débaptisé la rue Antoine Richepance - général d'Empire qui a participé en 1802 à la reconquête de Saint-Domingue après l'insurrection des esclaves, menée par Toussaint-Louverture – pour en faire la rue du Chevalier de Saint-Georges.
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Voici, à toutes fins utiles, "in a nutshell" diraient les Anglais, autrement dit dans une coquille de noix, quelques grandes lignes de la vie de Saint-Georges:

Fils de Nanon, une esclave africaine, née à la Guadeloupe, et de Georges de Bologne ou Boulogne, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi et riche planteur à Basse-Terre. Joseph Boulogne, dit le chevalier de Saint-Georges, arrive à Paris avec sa mère vers l'âge de 10 ans et son itinéraire n'est rien moins qu'un conte de fées.
Mis en pension chez Texier La Boëssière, homme de lettres et excellent maître d'armes, le jeune Saint-Georges y reçoit une éducation de jeune aristocrate et éblouit ses maîtres par sa facilité et sa soif d'apprendre.
Me La Boëssière en fait un fleurettiste d’exception et dès l'âge de quinze ans, il domine les plus forts tireurs. C'est incontestablement la plus fine lame de son temps, " l’homme le plus prodigieux qu'on ait vu dans les armes ", si l’on en croit "les friands de la lame", à une époque où les notions de point d'honneur sont encore vivaces et où le duel demeure une funeste institution. Toutefois, disputer courtoisement un assaut de fleuret dans un salon face à l'un de ses pairs, est une façon parmi d’autres de briller en société et de faire montre de subtilité.
Qu'on en juge ! Dans une préface qui précède un poème élégiaque de sa composition, La Mort Généreuse du Prince Léopold de Brunswick, maître Texier La Boëssière, déçu que ses talents de poète n'aient pas été couronnés par l'Académie, se drape dans son dépit pour proclamer : "Racine a fait Phèdre et moi j'ai fait Saint-Georges", auto-satisfecit ou parallèle qui élève son disciple au rang de chef d'œuvre humain.
En dépit des préjugés raciaux du temps, des lois scélérates du "Code Noir", instituant l'esclavage sur les îles à sucre du Royaume ou des décrets de 1777 et de 1778, "interdisant l'entrée en France aux nègres, mulâtres et gens de couleur libres ainsi que les mariages interraciaux", Saint-Georges triomphe dans les salons des nobles et des princes ou parfois... dans les boudoirs des dames de la cour. C'est l'une des personnalités adulées des salles de concerts, des salons des nobles et des princes, avides de divertissements et de fêtes galantes. Cette société frivole n'a toutefois pas encore conscience que le navire royal sur lequel voguent nobles et aristocrates, fait déjà eau de toutes parts.
Saint-Georges joue du violon en virtuose ou dirige des orchestres. Il compose des concertos, des symphonies concertantes pour quatuors d'archets et des comédies mêlées d'ariettes. Il est désormais admis que le divin Wolfgang Amadeus Mozart a été influencé par le non moins divin Saint-Georges, son aîné de onze ans. Les accents musicaux de ces deux compositeurs ont parfois des sonorités proches. Cela ne signifie nullement que Saint-Georges ait eu le génie musical de Mozart bien qu’il fût, en son temps, l’un des musiciens et compositeurs les plus charismatiques de Paris et que sa musique ait été jouée dans toutes les cours d’Europe.
Dès 1780, Saint-Georges se rend à Londres. Lors de chaque séjour, il y remporte un succès éclatant. En 1789, lorsqu'il y retourne avec son ami, Louis-Philippe-Joseph, duc d'Orléans, dit "Philippe-Egalité", il provoque une véritable commotion dans la capitale anglaise. Quant au cousin de Louis XVI, membre de la Maison de France, il passe presque inaperçu. Les aristocrates londoniens se disputent la présence de cet "Américain des îles" dans leurs salons. Ils estiment que c'est " le gentleman de couleur le plus séduisant de Londres ". Une fois de plus, les femmes ne semblent n'avoir d'yeux que pour lui. Il croise le fer avec le Prince de Galles, le futur George IV, et dispute des assauts de fleuret contre les meilleurs escrimeurs d'Angleterre. Il s'oppose en particulier au fameux chevalier d'Eon, porteur de vêtements féminins, au cours d'un assaut d'anthologie.
Acquis aux idées révolutionnaires, il commande un régiment d'hommes de couleur durant la campagne de Belgique. Diffamé, destitué de son commandement et incarcéré, il est libéré et réhabilité après une détention de dix-huit mois. Il retourne à Saint-Domingue au moment de la révolte des esclaves. L'île est alors à feu et à sang. Il revient à Paris pour finir sa vie dans l'indigence.

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Jusqu'à ces dernières années, biographes et romanciers se sont notamment opposés sur sa filiation et sur sa date de naissance.
Odet Denys, natif de la Guadeloupe, avocat parisien puis magistrat, a publié en 1972 une biographie romancée, intitulée Qui était le chevalier de Saint-George ? Il est le premier a affirmer, sans toutefois citer de documents à l’appui, que le père de Joseph est Georges de Bologne Saint-Georges.
Emil F. Smidak, auteur d'une biographie, intitulée Joseph Boulogne nommé Chevalier de Saint-Georges, publiée en 1996 par la Fondation Avenira à Lucerne, s'est livré à de sérieuses recherches sur la filiation de notre escrimeur musicien. Il est le premier à démontrer que le père du chevalier de Saint-Georges est sans conteste Georges de Bologne Saint-Georges.
La date de naissance de Joseph Bologne est un autre point de controverse ce qui n'est pas surprenant, l'état civil de l'époque se contentant souvent de graphies, de données ou témoignages approximatifs.
Dans sa Notice Historique sur Saint-Georges qui vient en préambule de son traité d'armes, intitulé L’Art des Armes, paru en 1818, Antoine La Boëssière mentionne que son ami avec qui il a vécu pendant six années, est né le 25 décembre 1745 et qu’il est mort le 12 juin 1799.
Claude Ribbe dans une biographie publiée aux Editions Perrin en août 2004, intitulé Le chevalier de Saint-George, a retracé avec précision l'arbre généalogique des Bologne de la Guadeloupe qui "commence le 28 février 1654 quand paraît dans la rade de Basse-Terre un grand vaisseau battant pavillon de la République de Hollande qui transporte les habitants de l'île de Tamarica et leurs esclaves…" Ils ont fui la colonie hollandaise du Brésil après l'invasion portugaise.
Un document en provenance des Archives de l’Amirauté de Guyanne permet désormais d’affirmer avec certitude, d’une part que Georges de Bologne Saint-Georges est bien le père de Joseph, et que d’autre part Joseph, en l'absence à ce jour d'un acte officiel de naissance, est très probablement né en 1745. Cela confirme que les dates mentionnées par Antoine La Boëssière dans la "Notice Historique" de son traité d’armes sont fiables.
Le document en question mentionne que Georges de Bologne, son épouse, Elizabeth Merican, leur fille Elizabeth-Bénédictine, Nanon et Joseph, alors âgé de 4 ans ont embarqué sur un navire à destination de La Martinique. Georges de Bologne a déclaré qu’il s’y rendait pour affaires avant de se retirer à Bordeaux.
Il faut savoir que deux années auparavant, en décembre 1747, Georges de Bologne Saint-Georges a dû quitter Basse-Terre précipitamment.
En consultant les minutes d'un jugement, conservé aux "Archives Départementales de la Guadeloupe", nous savons qu'au cours d’une visite à son oncle, Samuel de Bologne - un "sucrier " qui possède une plantation près de la sienne, sise à la Montagne Saint-Robert au Baillif – Georges de Bologne et son cousin Hugues Bologne qui ont fait ample consommation de "ponche", en viennent à se quereller verbalement après le dîner. Pierre-Julien Le Vanier de Saint-Robert - l'époux d'une cousine de Georges de Bologne - qui participe aux agapes, interfère dans la discussion et provoque Georges de Bologne en duel.
L'un des témoins affirme que "Saint George a porté au Sieur de Saint Robert un coup d’épée qui a atteint le nez et son nègre un coup de bâton qui l’ont fait tomber à la renverse sur des rochers".
Les blessures ne semblent pas graves mais rapidement l'état de Saint-Vanier empire. George de Bologne lui rend visite et ils se réconcilient. Saint-Robert lui dit alors "qu’il se sent un mal extraordinaire au col qui l’empêche de pouvoir se remuer, ny se lever, et effectivement cette douleur est si vive qu’il faut un temps considérable pour luy se remuer et changer de place".
Trois jours plus tard, pris de convulsions, Saint-Vanier meurt. Il laisse une veuve et sept enfants.
Georges de Bologne est accusé d’homicide. Il est condamné a mort par contumace et pendu en effigie sur la place de Basse-Terre en mai 1748. Condamné aussi à la confiscation de tous ses biens, il a craint que sa chère Nanon et son fils ne soient vendus avec tous les esclaves de la plantation, ce qui explique sa fuite précipitée et son arrivée a Bordeaux.
Deux années plus tard, son frère, Pierre de Bologne, Conseiller du Roi - outre le clan des Bologne et leurs parents par alliance - plaident la cause de Georges auprès du Souverain. Ils parviennent à obtenir sa grâce. Georges de Bologne Saint-Georges peut alors retourner à la Guadeloupe et recouvrer ses biens après un séjour de deux années chez Pierre à Angoulême.
Alain Guédé, auteur d’une biographie qui a pour titre Monsieur de Saint George, Le Nègre des Lumières, publiée par Actes Sud en 1999 impute à Bonaparte la conspiration de l’oubli et du silence dont a été victime le "Mozart noir ", premier colonel de couleur des armées de la République, celui que le marquis Jean Benjamin de Laborde dans son Essai sur la musique ancienne et moderne considère comme "l’homme qui parmi tous les hommes est né avec le plus de talents différents... et le mérite peu commun d’une grande modestie".
Certes Napoléon Bonaparte a commis le péché capital de rétablir l'esclavage sur les îles à sucre. Bien plus qu'un péché, c'est une souillure indélébile à sa réputation. Peut-on toutefois penser qu'il se soit préoccupé ensuite d'occulter les mérites de Saint-Georges ? Ne serait-il pas facile de citer un grand nombre d'écrivains, fussent-ils académiciens ou prix Nobel de littérature, de musiciens ou d'artistes, célèbres et adulés de leur temps, totalement tombés eux aussi dans l'oubli et désormais connus que de quelques spécialistes ?
Pour marquer le 200e anniversaire de la mort du chevalier de Saint-George/s, enfant du pays, le Conseil Général de La Guadeloupe a organisé une exposition itinérante qui a connu un franc succès. Mme Laure Tressens et M. Vincent Podevin-Bauduin, attachés de conservation du patrimoine, ont rédigé une excellente monographie, intitulée Le Fleuret et l'Archet. Les auteurs soulignent très justement que "Saint-Georges fut avant tout un musicien de son époque... La musique des années 1770-1790 se caractérisait par sa légèreté et son charme et le romantisme qui devait triompher par la suite préférait, aux concerts galants, les grands développements des symphonies."
Dans ses Réflexions sur la Vérité dans l’Art, essai qui tient lieu de préface à Cinq Mars, roman de fiction historique, Alfred de Vigny écrit :
" L’on doit s’abandonner à une plus grande indifférence de la réalité historique pour juger les oeuvres dramatiques qui empruntent à l’histoire des personnages mémorables... Ce qu’il y a de vrai n’est que secondaire. "
Plus concrètement, nous pouvons nous demander si le d’Artagnan d’Alexandre Dumas ou le Cyrano d’Edmond Rostand ne sont pas tout simplement "plus vrais que nature". Bug-Jargal *, le héros mythique de Victor Hugo, qui devient l’un des chefs des insurgés lors de la révolte des esclaves à Saint-Domingue en 1791, n’a-t-il pas autant de panache que Toussaint-Louverture, auquel l’auteur fait implicitement référence ?

* Bug-Jargal est le titre d’un roman que Victor Hugo écrit en 1818 alors qu’il n’a que 16 ans, œuvre de jeunesse qu’il remaniera en 1825. C’est un long cri de douleur et de compassion face au martyrologe des captifs africains qui se révoltent. Le narrateur du roman, un jeune Français, découvre en Burg-Jargal un esclave d’une grande noblesse.

Convaincu par cette profession de foi, plutôt que d'écrire une nouvelle biographie sur ce personnage d'exception, Daniel Marciano, a opté pour un récit de fiction historique de 392 pages, intitulé Le Chevalier de Saint-Georges, le fils de Noémie, mettant le héros en situation parmi ceux qui furent ses proches, sans perdre de vue son oeuvre musicale et les grandes lignes de sa vie sur lesquelles on peut valablement se fonder…

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